Toutes les semaines, Armand tient un stand sur le marché de la Place nationale, dans le centre-ville de Montauban. Il arrive en mobylette tirant une remorque artisanale chargée d’un bric-à-brac hétéroclite, puis il prépare son étalage à côté du primeur, des boulanger et fromager.
Armand installe une à deux tables pliantes (type camping), qu’il recouvre parfois de tissus colorés aux motifs africains ou indiens. Il déplie des chevalets qu’il a lui-même construits, à hauteur d’homme ou en support de table. Enfin, il emploie les matériaux qu’ils trouvent sur place, les cagettes vides fournies par les commerçants voisins, pour rehausser des installations au sol ou faire des présentoirs de table.
Armand signale son étalage à l’aide d’une pancarte où il inscrit une annonce, parfois simple - exposition de sculptures - parfois humoristique - c’est la fête des (maires) mères - parfois aux accents poétiques - vive le printemps ou le moineau du pays. Ces pancartes sont très souvent signées par Armand, artiste.
Parfois, il s’adjoint une seconde affiche où il délivre un message écologiste ou humaniste : protégeons la nature, elle nous le rendra mille fois ou enfants de tous pays, refusez la guerre et chantez des chansons.
Parfois, il s’adjoint une seconde affiche où il délivre un message écologiste ou humaniste : protégeons la nature, elle nous le rendra mille fois ou enfants de tous pays, refusez la guerre et chantez des chansons.
Armand vend ses objets artisanaux (brouettes, nichoirs, mangeoires, vide-poches, bijoux), des peintures et sculptures et des pastels exposés dans des portes vues.
Il n’indique jamais les prix, de modiques sommes qu’il ajuste selon le client, mais qui restent toujours modestes.
Armand expose souvent un album de photographies personnelles que le badaud consulte sur place. En lien avec l’actualité culturelle de Montauban et des environs, ses photos montrent les œuvres d’une expo, son stand lors d’une manifestation, une brocante… où s’intercale une photo de poules, d’un chat ou d’un avion croisé par hasard. Ses portes-vues montrent également les photos de ses créations prises dans Montauban.
» Consulter un porte-vue
Le stand d’Armand sur le marché n’a pas la même fonction que les étals des commerçants voisins dont l’objectif premier est la vente. D’une part, les collectionneurs arrivent très tôt, lors de l’installation, pour acquérir les plus belles pièces. D’autre part, Armand vend ses créations aussi vite qu’il les réalise au cours de la semaine, laissant les invendus pour le marché du samedi. L’offre restant à la vente ne montre pas la meilleure production de l’artiste. Mais pour Armand, cela n’a aucune importance, car à ses yeux, toutes les pièces se valent. Il ne fait aucune distinction entre un objet fonctionnel et une sculpture, entre un objet décoratif et une peinture. Pourquoi donc ? Chez Armand, tout participe d’un même élan créatif et du même besoin d’expression. L’étalage du marché en fait pleinement partie. Il traduit profondément sa personnalité d’artiste et devance la fonction marchande.
Avant d’être artiste, Armand déballe sur le marché de Villebourbon (un quartier de Montauban) ses fripes de chiffonnier et plus tard ses vieux bouquins. Il possède une culture ancienne de l’étalage sur les marchés et en développe un certain goût, voire une passion.
Il faut noter qu’Armand se détermine de lui-même et qu’il rejette toutes les contraintes qui lui semblent l’asservir. Ainsi, Armand ne se présente jamais à un rendez-vous, ou jamais avec ponctualité. Pourtant, il honore avec régularité son étalage hebdomadaire sur le marché. Il démontre ainsi son importance dans le rythme de sa vie.
Le marché est le dernier bastion urbain pénétré par la ruralité. Armand est très sensible aux valeurs propres à la campagne et à la vie rurale, autant de références morales, sociales et esthétiques qu’il retrouve sur le marché.
Armand est un garçon d’une grande timidité et d’une assurance fragile, aggravées par les assauts dramatiques de l’existence et les railleries dont il a été l’objet tant sur le statut (SDF) que le physique (strabisme). L’artisanat et la création d’art forment une réconciliation avec la vie qui recouvre l’acquisition de compétences et la reconnaissance par autrui.
Le stand sur le marché devient pour Armand une forme d’affirmation de soi dont il a tant besoin. Il signifie : j’existe par ce que je fais, et j’existe parce qu’on me voit. Il précise son statut sur les pancartes (Armand, artiste), il signifie son action écologiste ou humaniste (respectez la nature ou aimons-nous), il expose son œuvre et enfin il se montre lui-même. Mais jamais Armand ne verse dans l’ostentation prétentieuse. Au contraire, il reste mesuré, doux et modeste donnant ainsi à son originalité les traits de la sincérité et de l’honnêteté.
Armand possède un sens hors du commun pour partager sa bonne humeur. Il sourit généreusement, imite tous les animaux de la basse-cour avec bonheur, distille des jeux de mots ou de petites plaisanteries avec un regard espiègle… Armand anime son étalage de la simple présentation à la facétie discrète.
Armand respire le bonheur et partage son souffle. À travers sa générosité, ce qu'il veut, c'est l'égalité, comme pour réparer ses injustices et réhabiliter sa personne avec les autres dans un monde uni.
Armand derrière son étalage exerce une fascination sur le marché. Sa laideur s’efface. Son odeur nauséabonde s’estompe. Armand pénètre une dimension poétique et mythique. Il devient un prince, seigneur de rien, émerveillant ceux qui comme lui, retiennent leur enfance.
Nonoko
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